Vouloir parler de Coetzee et de Kafka, c'est programmer un échec. Comme l'écrivait Jean-Paul Engélibert, Kafka est omniprésent dans l'œuvre de Coetzee1, et de diverses manières : sa lecture a inspiré les premières et ténues premières expériences formelles de Coetzee, en particulier la structure narrative deAu coeur de ce pays; tandis que certains motifs kafkaïens -l'insecte, la niche, le terrier- qui avaient déjà été semés dans le monologue de Magda, sont repris plus largement chez Michael K. : cette fois le nom du héros dans le titre renvoie presque comme un acronyme de celui de Burg und Court. En se concentrant sur cette célèbre lyrique, Kafka devient non seulement un « marqueur » intertextuel visible mais aussi audible.2: La filiation kafkaïenne est dans la présentation. Ainsi, Coetzee non seulement rattache son œuvre à celle de Kafka, mais nomme sa démarche à travers un héritage : Traiter l'individu livré au pouvoir aujourd'hui, c'est traiter la violence avec et après Kafka, forcément à cause de lui.
La relation de Coetzee avec Kafka montre à quel point le rapport au « classique » peut devenir politique. Mais le lieu où, chez Coetzee, le poétique et le politique se confondent, ce lieu où humains et animaux parlent de pouvoir à travers leur vie de créature, est piégé même par l'héritage kafkaïen. Je tiens que ce lieu est le temps messianique. La question du « classique » renvoie ici au traitement littéraire de l'époque messianique, dans laquelle le thème de l'animalité humaine est étroitement lié.
Na Franca Jean-Paul Engélibert, Tiphaine Samoyault y Pierre Pachet3a analysé la confrontation de Coetzee avec Kafka, plus précisément le "Rapport à une Académie" d'Elizabeth Costello. Mais c'est la notion de « réalisme » que nous interrogeons, celle de messianisme, qui reste en dehors de ces lectures croisées. Le caractère bizarre et farfelu de ces débats sur les âmes animales n'a échappé à personne et en a irrité certains. Identifier cette moquerie comme une forme d'apocalypse interne peut irriter les autres. Or, si l'on peut parler de "plaques tectoniques" (P. Merivale) à propos de l'héritage kafkaïen chez Coetzee, c'est que chez Coetzee l'idée messianique poursuit son œuvre de façon continue et produit une série de bouleversements qui finissent par aboutir. un point culminant. Ils font finalement resurgir, sous le vieux cliché du « réalisme », la réalité de l'animal comme erreur indéchiffrable, proposant à l'homme de réfléchir sur le temps : le temps qu'il a vécu et le temps qu'il lui reste.
Vestiges du "classique"
Coetzee lui-même explique sa relation avec Kafka en 1991 : dans son entretien avec David Attwell, précédant la réimpression d'un article sur Le Terrier dix ans plus tôt, il reconnaît l'influence de Kafka avec une « humilité » presque dostoïevskyenne.4. Coetzee dit qu'il est bien inférieur à son modèle, bien qu'il prenne l'arrogance d'utiliser la lettre "K" dans Michael K : premièrement parce que Kafka n'a pas le monopole de cette lettre, deuxièmement parce que la ville de Prince Albert dans la province de Chap n'est pas moins le centre de l'univers que Prague et vice versa.
Cette égalité des « centres » est un fait historique : il est sûrement temps de réaffirmer cette égalité, dit Coetzee entre parenthèses. C'est donc à lui de décider de l'avenir des peuples de la planète terre à travers l'héritage littéraire en question. En tant que jardinier au chômage en Afrique à la fin du XXe siècleEsLe siècle est un objectif aussi central que la vie d'un ecclésiastique dans l'Europe centrale des Habsbourg. Pas moins, pas plus. Cette centralité de l'Afrique du Sud, dont Coetzee explique l'arrivée, a une signification politique évidente.
Un salut pour Kafka va de pair avec une attitude décontractée. Si Michael K. utilise le modèle comme signe distinctif, le terrier dans lequel se cache le personnage en cavale dans la savane, qui lui permet de s'évader des camps et de « retrouver » sa mère sans mourir, n'a rien à voir avec Kafka. : semble même être son inverse symétrique. Une telle utilisation n'est pas le simple indice d'une stratégie d'intégration dans l'institution littéraire, sinon par la "petite littérature".5. Kafka n'est pas un classique comme peut l'être Shakespeare. Coetzee relève une analogie entre deux situations historiques. L'égalité des destins de l'Africain d'aujourd'hui et de la peste d'hier donne à l'œuvre, selon Kafka, certains droits sur elle : celui d'un emprunt apparent et celui de la trahison - et la trahison, comme forme ultime de la fidélité, fait partie de l'histoire familière du lecteur. expériences éthiques par Coetzee6.
Suivre et trahir Kafka, c'est devenir classique dans sa « moindre » voie, une voie qui se prête à devenir « classique », une voie devenue classique. En 1998, Coetzee parlait de ce « classicisme » de Kafka à propos de ses traductions.7: A l'occasion de la nouvelle traduction de Castle par Mark Harman, épuise la version précédente de Muir8; celui qui avait lu Kafka en allemand à l'adolescence9, il dénote dans cet article le processus d'institutionnalisation du texte classique : les libertés que prenaient les Muirs, leur façon de « fixer » le texte en le simplifiant et parfois en le déformant, venaient du fait que Kafka n'était pas à cette époque le « plus classique ». statut". " " ; sauf lorsque Max Brod, son ami et premier exégète, a justifié ce texte au prix des abus d'interprétation que nous connaissons.dix. Mais en souvenir de ces abus, Coetzee rend hommage à ses auteurs, dont le poète Muir : cette série d'erreurs et de trahisons a permis au texte de survivre et d'accéder au statut de canon, ce qui explique à lui seul la décision légitime de Mark Harman.11. C'est la consécration de l'œuvre qui sous-tend le projet de fidélité à cette écriture, à son caractère parfois sombre, indécidable et inachevé. En définitive, si la consécration protège des falsifications, elle n'aurait pu réussir sans cette série d'abus inhérents à sa transmission.
Kafka illustre ainsi parfaitement la définition utilisée par Coetzee dans « Qu'est-ce qu'un classique ? »12. Le classique est un travail qui survit dans le sens où il « a passé l'examen minutieux de milliers d'esprits critiques » ; aussi dans le sens où plusieurs générations ont ressenti leur besoin de vivre : "Ce qui survit et survit à la pire des barbaries parce que les générations ne peuvent y renoncer et donc le conserver à tout prix, c'est classique." Le classique se mesure ainsi à son pouvoir de persuasion et de résilience, qui lui permet de "survivre" à ses conditions de production, de lectures critiques, bref, à la "pire barbarie" à l'aune de laquelle se mesurent son besoin et son prix. Avec la modernité, donc, le terme « classique » acquiert un contenu anthropologique, éthique et même eschatologique.
Si les notions de survie et de valeur sont si imbriquées, c'est qu'il s'agit de sauver - ou plutôt de sauver - l'idée d'humanité. Cette question, qui anime toute l'œuvre de Coetzee, alimente son désir de devenir un classique. La question de la reconnaissance, sur laquelle les critiques ont tendance à insister, dépasse l'outsider comme tâche éthique : devenir un moyen classique de travailler à sa propre survie en temps de barbarie, sauver quelque chose pour l'humanité.
Coetzee répond à cette question salvifique en explorant une étrange frontière qui est au cœur poétique de son œuvre : la parenté entre humains et animaux. Cette parenté, qui s'affirme de plus en plus jusqu'à l'égalité, voire l'identité, ne signifie pas que l'animal soit inhumain, mais plutôt que l'homme, submergé par la barbarie, voit dans l'animal l'image de son aliénation et l'expression de sa aliénation. humanité. Ainsi, l'évolution classique de l'œuvre de Coetzee va de pair avec l'idée de l'évolution animale comme résistance à la barbarie et comme condition de survie.
C'est une autre raison pour laquelle la tâche de Kafka de devenir un classique va si loin. Devenir un classique après l'avoir été signifierait hériter de son "compagnonnage de l'homme et de l'animal" qu'il a inventé comme le seul plat sur lequel il voulait jouer; ce serait permettre à quelque chose d'humain de survivre après la catastrophe qu'il prédisait, puisque les humains avaient montré que l'enfer pouvait devenir la « structure de la réalité » (H. Arendt).
L'histoire de la catastrophe après Kafka est celle du développement génocidaire de la violence politique, qui impose à tous ce qui est humainement possible ; c'est aussi l'apartheid et ses conséquences qui s'imposent à l'écrivain du Cap.
"Plus diabolique qu'ici, disait Kafka, ça n'existe pas". Coetzee a parfaitement le droit d'en dire autant de son pays et de son époque. Mais où est la « couverture » ou « l'inversion » du rien aujourd'hui, là où Kafka, selon W. Benjamin, « voulait toucher du doigt le salut » ?13? Comment imaginer l'espoir après Kafka qui disait qu'il y a de l'espoir mais « pas pour nous » ?
L'Afrique du Sud, au fond de l'Afrique et du monde, c'est le fond de l'enfer : c'est l'endroit idéal pour chercher ce qui n'est pas pour nous. Ce petit pays dans lequel nous vivons, "toujours en attente, en prévision de l'apocalypse" (B. Breytenbach14), est aujourd'hui le lieu messianique – comme la peste de Kafka hier.
le courant du terrier
La machine de la colonie pénitentiaire a été rappelée à plusieurs reprises en lien avec l'un des supplices évoqués dans En attendant les barbares (1980). L'espace concentrationnaire qui marque la carrière de Michaël K. peut être vu comme une contre-utopie née d'une lecture kafkaïenne -mais aussi foucaldienne- de la réalité sud-africaine des années 1980. Giorgio Agamben -dont la réflexion porte sur la même héritage, en plus il y a ceux de Carl Schmitt et Walter Benjamin. Eh bien, si Coetzee reste prudemment sourd à la pensée de W. Benjamin, on pourrait relire ses récits, et Desgraça en particulier, à la lumière de l'essai le plus théologique de Benjamin, d'ailleurs contemporain des derniers textes de Kafka : Pour une critique de la violence.15.
Le refus d'écouter ce que dit Walter Benjaminseizec'est celle de toutes les formes de pensée marxiste engagées par Coetzee dans le phénomène idéologique et totalitaire. Le rejet farouche de Lukács va aussi dans ce sens, au prix de raccourcis qui comptent peu ici.17: Ce qui compte, c'est le choix de Kafka. Ce choix est sans doute une manière de préférer l'écrivain au critique, la littérature à la philosophie. Mais il y a un certain messianisme. C'est bien de cela qu'il s'agit dans le temps « partagé » de Toca, auquel Coetzee a consacré une longue étude en 1979 : « Temps, temps et aspect dans l'édifice de Kafka ».18. Il y fait référence à la traduction verbale de Kafka de l'expérience d'un autre temps, se produisant sans interruption et sans avertissement, à partir d'un moment présent toujours séparé du passé. A ce « temps de crise », où le sens du temps s'effondre, s'ajoute l'expression d'une peur folle : celle d'un être animal et humain, parlant et pensant, se projetant aux limites du langage, incarnant cette division du temps. . . . Kafka explorerait ainsi les possibilités verbales d'exprimer le temps en dehors du langage humain. Celui d'une créature terrestre.
La veine de l'article est volontairement scientifique - comme le temps le veut ainsi que l'intention : celle d'un écrivain19Interprétation d'une stratégie narrative déjà identifiée par la critique (notamment D. Cohn) et donc un mystère. Coetzee décrit de manière hypertechnique, avec des diagrammes à l'appui, les formes verbales de temps et d'aspect dans Le Terrier pour se concentrer sur le paradoxe grammatical, qu'il s'agit d'un présent capable d'exprimer à la fois l'itératif et le singulier.20. Le terrier raconte un événement et une répétition. La créature semble avoir déjà construit son repaire, mais continue de le reconstruire ; Parfois, il sort mais ne s'en souvient jamais et doit recommencer. Tout lui « arrive » parce qu'elle ne peut rien prédire. Comme tout est possible à tout moment, il attend et s'agite.
Ce temps, qui est celui de la transformation soudaine, est aussi celui de la mort invisible. Avec cette imprévisibilité, le conte de Kafka oblige le lecteur à vivre une expérience de pure attente. Une attente « eschatologique », dit Coetzee, qui parle aussi d'« intuition mystique » et cite le journal de Kafka : « Le moment décisif (décisif) du développement humain est éternel (éternel). C'est pourquoi les mouvements spirituels révolutionnaires qui déclarent tout ce qui précède est correct, car rien ne s'est encore produit.21. Pour Kafka, ce « moment décisif », ce point de rupture et de non-retour, est « ce que nous devons atteindre ». C'est pourquoi "l'histoire est la deuxième parmi les empreintes du voyageur"22.
En citant ainsi Kafka, Coetzee endosse tranquillement son anarchisme. Le formalisme de l'article n'efface en rien son inspiration messianique. Comme l'a souligné G. Agamben, toujours à l'aide de la grammaire de Guillaume23–, le temps messianique n'est pas celui de la catastrophe, mais celui qui conduit chronologiquement à la destruction de l'histoire : le « temps qui reste ». Les romans de Coetzee, notamment L'Age de fer, Foe et Disgrace, doivent leur ultime densité à cet effet de contraction qui rend la lecture éclairante. En faisant des temps messianiques l'axe poétique de l'œuvre, chez Coetzee on peut réfléchir au lien entre les techniques narratives et la problématique enivrante de l'homme et de la bête, ces créatures qui partagent la même vie nue sous un pouvoir souverain.
Dans l'article de Coetzee, l'idée d'un temps alternatif nous ramène à la narration : ce « présent éternel » ou « moment décisif » n'est rien de plus que la narration en tant qu'expérience de lecture. L'imprévisibilité de chaque instant tient le lecteur en haleine, marquant l'opération narrative dégagée de toute formation psychologique et symbolique. Car la parabole en tant que telle n'intéresse pas Coetzee : le malheur constructif de la créature peut décrire le développement paranoïaque de la civilisation occidentale, ses activités de recherche, de travail et de capitalisation conduisant à la terreur des autres et au fantasme d'anéantissement. il désigne aussi, pour certains, l'écrivain Kafka, gêné par ses livres et séparé des hommes. Coetzee ne dit rien à ce sujet. L'identité de la bête — dont le rapport au divin aurait pu être approché à partir de cette eschatologie — reste intacte, contenue dans la notion d'un temps hors du langage humain. Un temps en dehors de l'histoire, puisque "le temps" et "les événements sont en fait linguistiques"24.
Coetzee fait du Terrier de Kafka le modèle d'une histoire écrite aux frontières du langage, une sorte de notion platonicienne du storytelling : cette histoire de pure peur modèle le désir narratif dans sa forme la plus pure et nous montre ce qu'était poétiquement le messianisme. se construit Quand l'intertextualité de Kafka inonde le registre symbolique, elle n'est pas chargée de théologie. Il n'y a pas besoin de penser à ce qui est en dehors des limites du langage, dit plus tard Coetzee à Attwell, ce qui compte, c'est son potentiel libérateur en termes de son caractère descriptif : « Y a-t-il quelque chose qui mérite d'être réfléchi ? Mettez cette question de côté : ce qui est intéressant, c'est le possibilité libératrice que Kafka introduit (p.199)
Le partage opéré par Kafka fait de la littérature le seul lieu véritablement utopique. La possibilité ouverte, soumise à une lecture critique, ici maniaque, est une possibilité d'écriture. Coetzee dira plus tard que sa lecture ouvre des "moments d'intensité analytique", des moments de "grâce" et d'"inspiration" qui conduisent à cette "écriture sur les pas de", qui se traduit par "critique" par le commentaire ("un commentaire sur l'écriture" ) Coetzee qu'il ne réécrirait pas ce texte aujourd'hui. La lecture critique de Kafka est donc un moment historique crucial dans la carrière littéraire de Coetzee.
C'est cette découverte de la myopie qui a incité Coetzee à construire son premier roman de conscience malheureuse, In the Heart of This Country, comme un monologue fragmentaire qui, soit dit en passant, fait écho à de nombreuses lignes de A Burrow, tout comme Beckett. Puis, comme si cette expérience avait été assimilée d'un autre temps, le travail de Coetzee se poursuit, montrant l'empreinte de Kafka comme si elle était tombée hors du temps. On passe facilement, dit D. Attwell, du "terrier" de K à Michael K construisant sa propre tanière. Ce passage n'est pas facile, au contraire : il suppose que Coetzee construise la sienne, c'est-à-dire qu'il enterre sa poétique messianique dans des fictions nihilistes à l'allure ultra-postmoderne. Mais ce messianisme caché se dévoile de manière thématique, presque caricaturale, à travers une série de débats sur la relation entre humains et animaux. Chercher le « manteau » du « rien », c'est le retourner au grand jour, retrouver la subtile construction postmoderne de certains grands thèmes confiés à un professeur déchu et à un romancier vieillissant. Ces débats sont vains car, plus que jamais, l'espoir est dans la souffrance. La littérature tombe dans l'oubli. Coetzee est gêné.
hommes et chiens
Cette voie de la honte comme condition de survie est encore une manière de suivre Kafka. On se souvient des derniers mots de K à la fin du procès, lorsque les deux messieurs lui ont poignardé le cœur : « Comme un chien ! dit-il, et c'était comme si la honte devait lui survivre. " dit-il. Lucy, mais c'est comme ça : L'humiliation des descendants des colons est la nouvelle forme de honte dans un monde où les innocents sont vraiment coupables ou un crime a été commis Être payé - personnellement Le malheur est la forme que prend Coetzee l'amère survie pour laquelle Kafka a abandonné son lecteur à la fin du procès.
Être un classique post-Kafka, c'est accepter la honte qui survit aux assassinés et les amener au sommet de leur potentiel. C'est le retour à une famille oubliée dont la mémoire remplace le culte des ancêtres : celle d'une honte partagée, impersonnelle, comme disait W. Benjamin de Kafka25. Cette mémoire oubliée est celle de la « communion de l'homme et de la bête ». Elle fait retrouver au corps son exil à travers l'animal. Aller jusqu'au bout dans la honte, c'est sauver l'honneur des chiens morts et se faire un trou pour en devenir un. Non seulement parce qu'« on devient chien en se faisant appeler chien », comme le disait le Robinson de Kafka dans L'Amérique ; mais parce que quelqu'un est un meurtrier.
Survivre après Kafka, c'est apprendre un vrai meurtre dans lequel la personne elle-même est impliquée. Car la honte n'est plus, comme chez Kafka, celle de l'innocent rendu coupable par la loi, mais celle de l'héritier d'une histoire de domination, celle que le magistrat dans En attendant les barbares cherche à annuler pour revenir, par le corps du jeune, au-delà de la torture qui a marqué son corps, au-delà de l'histoire. L'héritier de Kafka, parce qu'il est aussi l'héritier de cette histoire coloniale, ne peut qu'avoir honte à mort. La réalité du meurtre pour survivre est celle d'un crime antérieur, perpétué par la haine et la domination : l'établissement de la race comme principe de pouvoir, pratique de séparation et projet d'anéantissement. Le crime des empires que Coetzee évoque à travers la guerre du Vietnam, la guerre coloniale, l'apartheid et le génocide.
Vivre comme un chien, au plus profond de la terre, est en quelque sorte, toujours au sens figuré, le choix de Lucy : accepter l'enfant né d'un viol sans inculpation, c'est affronter les ramifications de la violence historique au cœur de ce pays, accepter d'y mettre les pieds et renoncer à la justice, ou plutôt demander justice en dehors des tribunaux. Si cela ne se traduit jamais positivement, c'est à travers lui que Lucy fait taire son père et lui montre le chemin de la tolérance, le chemin de la honte et des chiens mourants pour lui. Le roman suit le cours de ce consentement en emmenant le père dans le cycle de la honte.
Cette démarche, accompagnée d'une activité poétique conquise par le mépris, est une tentative de sortir de l'histoire. Le choix de Lucy d'exister sur cette terre et hors la loi est purement politique. Le dévouement de David à la vie d'un chien n'est plus, sauf dans un sens messianique. Rejoindre l'animal dans le chenil en tant que poète raté – ou en tant que romancier vieillissant – est la manière de Coetzee de chercher le double du néant. Cette quête qui mène David à la mort est soutenue par Lucy dans la vie, dont elle remerciera le viol : sa propre honte est d'être mère pour le simple fait d'être mère. .
De même qu'il n'explique pas cette justice au-delà de la loi, il ne rend pas compte non plus de sa violation, qui semble appartenir à cette justice hors du langage. Doit-on comprendre que le viol des blancs par les noirs est un "juste" retour des choses après les violences de l'apartheid ? C'est du moins ce que dit son choix de vie : celui d'une fille de colon violée par un Noir et pourtant mariée à un autre Noir qui protégera également le violeur. Nous sommes ici en plein dans le domaine de « l'accord », le domaine théologique selon W. Benjamin, qui y voyait l'équivalent humain de l'autorité divine libérée de l'autorité légale mythique.26. Ce domaine est à l'état implicite : nous ne participons ni aux négociations ni à l'accord signé entre les parties. Aussi pour cette raison, bien plus que pour caricaturer un procès universitaire, Coetzee réagit quelque peu aux nouveaux juges de la Commission vérité et réconciliation sud-africaine.27.
Le projet de vie de Lucy et le dévouement de David à la mort animale se décident et se font en parallèle, sans communication, comme le montrent les dialogues entre père et fille. La décision politique de Lucy laisse David mal à l'aise. Au nom de la pure forme de justice, dans l'affaire Mélanie, la magistrature a écarté de manière plus suspecte et moins profonde ce qui n'était qu'une issue erronée : l'exclusion du petit monde universitaire n'a fait que commencer sa décadence sociale, nécessaire pour la désocialisation de la poésie et la découverte de la vie animale. Le dégoût pour la rhétorique du pardon qui conduit David à rejeter la confusion entre loi et religion ne signifie pas que la logique juridique en a été retirée, comme le montre son appel à dénoncer les violeurs. Cette dépossession est réalisée par la force, comme la maternité pour Lucy. Mais en accompagnant les chiens au moment de leur mort, David Lurie ramène finalement à la lettre la formule que sa fille lui a léguée et que Kafka a léguée à Coetzee : « comme un chien ».
Rassembler le chien mourant dans le chenil pour y mettre un terme en douceur, c'est entrer dans le temps restant, ce temps abrégé qui représente la sortie de l'histoire sans pouvoir le percevoir. A la fin d'une civilisation consciente de ses erreurs et de ses crimes, il reste aux humains à comprendre comment meurent les animaux. Accompagner le chien mourant équivaut à accepter son sort et donc celui de l'héritier : aider le chien à mourir, c'est comprendre que l'on est meurtrier et victime d'un mal causé par un crime antérieur, un casier judiciaire que l'on a, depuis sa naissance .28, Participant : Comment le monde de Coetzee est toujours au bord tragique des temps messianiques. L'homme ne peut pas plus devenir un chien qu'il ne peut sortir de l'histoire. Cela fait pleurer Elizabeth.
La critique de la justice conduit à l'exploitation de la faune, qui rappelle à l'homme, au-delà des auteurs innocents, qu'il est un meurtrier sans foi ni loi. Comme on le voit lorsque David s'agenouille devant le père de Mélanie, cette critique laisse parler la Parole de Dieu dans un monde où l'on ne croit pas en Dieu : dans le monde de Coetzee on ne croit qu'à la fable, qui elle-même permet le dialogue ou la divagation (ennemi) ; nous croyons aux animaux qui nous permettent de garder le silence – ou d'écrire sans avoir à parler. C'est ce qu'Elizabeth Costello raconte à ses juges avec son histoire de la grenouille ressuscitée. Si l'on peut retourner la "coquille" du néant et toucher son revers messianique, c'est en racontant calamité sur calamité et en écrivant la fable de l'homme à travers la "réalité" des singes et des chiens en cage. Ainsi, le roman poursuit sa tâche de comprendre de plus en plus librement la vie des animaux. Celle-ci, à son tour, indique le chemin de la justice pour les hommes vers une justice hors la loi et un monde hors du langage, dont la traduction historico-politique est une certaine violence assumée, celle contre son corps et celui de son fils. puis, pour le père ainsi violé, avec une épiphanie de l'intérieur : tomber, c'est retrouver un corps oublié dans sa langue, tandis qu'il surveille les chiens.
Les chiens sont partout dans ce métier, autour des hommes idiots ou des vieilles femmes bavardes. Les chiens de Coetzee, "réalistes" comme ils sont, avec leurs sales blessures et leurs maladies, sont des anges muets envoyés à l'humanité depuis un ciel absent.
Dans le monde de Kafka, Walter Benjamin a attiré l'attention sur le caractère rédempteur et désespéré des "aides" et des assistants, des médiateurs entre les héros et les gens - comme le manager du trapéziste du "Premier Mouvement". Ces "aides", qui restent humaines à Kafka, sont devenues tout simplement les bêtes du monde de Coetzee. Ces bêtes meurent et sont accompagnées d'hommes pour les aider. Aider les chiens à mourir est toujours un meurtre. Mais comme les chiens ne sont ni meurtriers ni victimes, ils sauvent les humains de la honte d'être nés noirs ou blancs, et d'avoir emprunté le langage de la justice pour avoir existé dans l'histoire.
A chaque fin de roman, une personne déjà décédée nous dit qu'il y a de l'espoir, mais pas pour nous. Parfois le narrateur vient au secours de son héros muet : la fin de la fable imite alors la fin de l'histoire, comme le flux cosmogonique qui s'échappe de la bouche de Foe à la fin du vendredi. Mais la « ligne de fuite » qui conduit le personnage à se laisser vaincre par le notoire ou à s'abandonner à sa propre honte est aussi une ligne messianique. Coetze décore son héros stupide de la lettre K pour lui faire construire une grotte qui, loin de celle de Kafka, lui permettra de féconder les cendres de sa mère et de s'échapper de l'espace clos du monde en devenant un chien docile. Aussi. Elizabeth Curren apprend à mourir en se prélassant comme un chien dans le corps puant d'un sans-abri. Les hommes et les femmes de Coetzee deviennent trop bêtes pour savoir mourir. Chaque livre répète cet abandon volontaire au sort auquel nous avons été soumis.
En fin de compte, c'est à l'écrivain lui-même de laisser le vertige de la honte l'envahir. La honte qui survit au meurtre est aussi celle de l'homme qui écrit. Dans Disgrace, le texte testamentaire est voué à être perdu et ridiculisé. Le malheur rend inévitablement grotesque le sublime opéra de l'amour malheureux qui accompagne David au banjo : un opéra dans lequel une femme et une fille crient à l'amour, entendues seulement par un chien. Puisque la honte était la seule réponse de Kafka à la barbarie et le seul moyen de survivre, elle devait affecter l'œuvre elle-même. Coetzee a également hérité de cette honte : Kafka l'a répété textuellement en affirmant que ses œuvres se moquaient des défenses contre un mal qui le dominait à tous égards. Cette abondance de mal jette le lecteur à travers chaque fin du roman dans le temps restant.
L'écrivain et ses juges ou le sacrifice pour le "jeu"
Comment l'écrivain peut-il utiliser ce temps restant lorsqu'il est invité à des conférences et à des dîners sociaux à travers le monde ? Quelle sera la forme –forcément sociale– de livraison jusqu'à votre destination ? La réponse est claire avec Elizabeth Costello : cette forme sera celle de la victime - non pas la forme régulatrice du bouc émissaire, mais celle par laquelle
qui organise le jeu littéraire dans son désordre radical. N'oubliez pas que le classique est ce que les hommes gardent "à tout prix" car ils ne peuvent pas y renoncer. Elizabeth Costello, comme le dit son fils, ne se soucie que du "grand jeu" car elle doit honorer les forces qui ont guidé sa vie, les pouvoirs mythiques qui ont transformé son existence en destin. Parmi ces grands jeux figure Kafka, qui s'avance masqué après une série de conférences sur le « réalisme ».
Comment se mesurer au pouvoir de Kafka mais avec un sacrifice public ? Survivre après Kafka, on l'a vu, c'est vivre l'ère messianique à travers l'histoire de la calamité. Mais il ne suffit pas d'expérimenter : il faut aussi dévorer son jeu. Pour « rivaliser » avec le classique et « affronter » Kafka, Coetzee envoie un nouveau duo féminin en délégation. Une autre vieille folle, une Elizabeth Curren, qui, au lieu de mourir d'un cancer, aurait beaucoup réfléchi mais n'aurait pas pu mieux s'expliquer. La fable est là, alors le sacrifice peut être fait. L'écrivain parle à ses juges.
Elizabeth Costello utilise les singes parlants de Kafka pour parler de réalisme, en particulier d'animaux et de génocide. Il le fait d'une manière ennuyeuse et déroutante, mais à sa manière. La réalité sanglante du crime confronte l'écrivain à la tâche de l'incarnation. La version du "réalisme" de Costello prend le temps, comme Kafka, d'imaginer le singe amoureux ramassant les déchets dans la cage d'un éléphant. Cela inclut de rester éveillé lorsque les hommes s'endorment. C'est grâce à un excès de réalisme et de vigilance que la vieille femme s'effondre dans les bras de son fils et déclare qu'elle ne peut plus vivre dans ce monde. Son fils l'accompagne alors à l'idée de sa mort, tandis que David Lurie accompagne son chien préféré à l'abattoir.
Elizabeth s'explique avec l'aide de Kafka, mais s'effondre d'une manière qui n'est pas kafkaïenne. Kafkaesk est le monde qui vous entoure. C'est exactement ce dont se plaint la vieille femme. De quels pièges et de quoi se plaint Kafka ici Coetzee ?
Je veux revenir à la conversation avec David Attwell. La forme laborieuse de cet entretien sur Kafka montre que la question de l'intertextualité de Kafka a fait l'objet des plus grands malentendus à l'époque (1992). Quand Attwell s'interroge sur le sens de la référence de Michael K à Kafka, sur le caractère lyrique de son personnage, et donc sur son éventuel contenu politique - sa "résistance" -, Coetzee dissimule à peine sa colère, comme il le fait à plusieurs reprises dans cet entretien.29, et répond par une contradiction : tous les héros de fiction sont textuels, seul le degré de conscience de cette textualité change. Michael K. n'est un héros modèle que dans le sens où il défie les idées reçues sur l'héroïsme, tout comme le livre défie toute autorité, y compris celle de son auteur. Derrière Attwell, Coetzee répond à Nadine Gordimer et à tous ceux qui exigent une responsabilité politique de leur littérature.30. À un moment donné dans le livre, dit Coetzee, Michael est tenté de sortir de sa cachette et de rejoindre la guérilla, mais il ne le fait pas. C'est, dit-il, « le moment de la plus grande nudité politique du roman ». Pourquoi Michael ne rejoint-il pas la guérilla ? Il faut aussi « mettre de côté » cette question. La vraie réponse, dit Coetzee, est d'écrire le livre que vous voulez écrire. Et lorsqu'on vous demande ce que vous voulez écrire, il ne doit y avoir aucune réponse pour pouvoir continuer à écrire.
La référence à Kafka ne justifie donc pas une lecture allégorique, métafictionnelle ou politique. Être membre a une autre signification. Les questions d'Attwell donnent à Coetzee l'occasion de dissiper certains malentendus : il refuse d'utiliser la formule « moderne tardive » pour désigner le caractère « éthique et marginal » de sa propre « entreprise » littéraire d'auteur sud-africain, et il se moque de la « modernité aliénation". "kräuselig" ("terme bouclé") indésirable pour les auteurs du calibre de Kafka, Musil, Eliot, Rilke ou Joyce. La notion même de « modernisme » est dépassée lorsqu'elle s'inscrit dans une opposition bipolaire moderne/postmoderne (ou canon/anticanon) comme alternative au discours postcolonial entre l'Occident épuisé et la périphérie vitale.
Coetzee répond volontiers à ces discours formatés : « Je voudrais prendre position » (p. 201).31– interpeller ceux qui lui demandent de déclarer sa marginalité. La question n'est pas de savoir ce qu'on peut expliquer de la marginalité de Kafka en Europe dans Kafka's K, ou ce qui peut s'expliquer de la marginalité de Coetzee en Afrique dans Michaël K, mais ce qui reste une fois ces explications épuisées. Il est important, dit-il, « ce que Kafka ne dit pas, ce qu'il refuse de dire, n'est-il pas soumis à ce questionnement, et qu'est-ce qui nourrit le plus notre désir pour lui (pour toujours, espérons-le) ? ".
Kafka, maître du désir, est un maître du rejet silencieux des questions aliénantes. Mais en tant qu'écrivain fermement engagé dans l'institution littéraire, Coetzee semble piégé sous la forme de la question aliénante : il y répond en jouant le jeu critique mais en multipliant les procédures de rétractation au sein de « l'entretien ». Tout se passe comme si les débats suscités par son œuvre, et plus encore par sa relation avec Kafka, avaient recomposé un système d'aliénation qui serait son destin : celui d'un écrivain sud-africain, emprisonné et violé comme tel tant en Afrique qu'en l'Occident : là pour le discours dominant sur le « réalisme », ici pour les enjeux de la modernité et de la postmodernité, le canon et le postcolonialisme. Lors d'un entretien avec Attwell, ses efforts pour dépeindre fidèlement sa relation authentique avec Kafka, malgré la subtilité et la bienveillance de l'intervieweur, sont constamment éclipsés par le reflux de ces débats au détriment d'un équilibre constant. Cet effort est perceptible à chaque entretien. Il est étrange que Coetzee ne pointe pas la violence des discours interprétatifs dans son caractère fautif mais aussi fatal.
Maintenant qu'il s'agit d'accomplir son destin, de surmonter la violence et de survivre à la honte, il n'est pas étonnant que Coetzee se tourne vers le jugement pour réfléchir à ce piégeage. Revenons à Elizabeth Costello. La reprise de la nouvelle kafkaïenne "Avant la porte" qui conclut le procès dit la non-acceptation de l'écrivain par ses juges : Coetzee dramatise ainsi de manière clairement parodique la relation de l'écrivain avec ses détracteurs. Elizabeth s'inspire du silence de Kafka pour lui donner de mauvaises réponses, qui sont celles d'un écrivain sceptique. Mais elle se défend mal et le débat dégénère dans le grotesque.
Dans son jugement sur les premiers traducteurs anglais de Kafka, Coetzee a soutenu que les héros de Kafka devraient être considérés comme des personnages de bandes dessinées et Kafka comme un homme hors de leurs rôles tandis que les femmes planent autour de lui. Elizabeth Costello n'est pas exactement un personnage kafkaïen. C'est un personnage pathétique, mais la moquerie ne tue pas. Pourtant, il a le sens le plus aigu de son ridicule parce qu'il connaît son Kafka. Et il doit cette moquerie à la situation qui lui est imposée, qui est sa propre honte kafkaïenne : celle de l'écrivain au tribunal. Pourquoi est-elle servie par Kafka, dit-elle, si elle n'est pas une fan de Kafka qui a toujours pensé que ses personnages étaient enfantins ? Les critiques, avec leurs questions dépassées et leur demande de croyances au lieu d'histoires, sont des puérils. Mais les réunions de classe ou de classe ne sont pas les seules à exiger des réponses rapides et faciles. Ces questions peuvent venir de la rue.
La situation dans laquelle se trouve Elizabeth Costello répète de manière plus éloquente, intertextuelle et kafkaïenne celle de l'autre Elizabeth de L'âge du fer. Quand Elizabeth Curren, contrainte de prendre position face à une situation sociale dramatique, demande du temps pour une réponse car elle doit trouver ses mots et sa voie, on lui dit que ce qu'elle dit "craint". Les critiques font peu de déclarations de ce genre face aux croyances végétariennes de Costello-Coetzee. Ce que dit l'auteur lorsqu'on lui demande de répondre et de prendre position est toujours un peu "conneries". En tout cas, ce n'est pas de la littérature.
Le monde littéraire et le monde politique sont des sociétés sans animaux, où le temps n'existe pas. Le malheur présuppose un monde poétique qui capture la réalité et le temps dans le langage. La poésie, cependant, telle que la voyait Kafka, est la forme d'un espoir qui existe, mais pas pour nous. En plaçant Elizabeth « aux portes de Kafka », Coetzee traduit une inquiétude plus profonde que la simple gêne face à la critique : ressentie par tout écrivain confronté à une exigence de croyance et d'action, en particulier l'écrivain africain en mal de violence, se veut toujours un classique. . conscient de son impuissance politique.
Cette demande infecte les lecteurs les plus attentifs de Coetzee et Kafka. Elizabeth ne se plaint pas seulement d'être contrainte à une situation kafkaïenne qui l'oblige à croire et à dire ce qu'elle croit ; se plaint d'être enfermé dans une caricature de Kafka. Si son existence est drôle, c'est parce que ses seuls interlocuteurs sont les mauvais lecteurs qui l'emprisonnent dans un « Kafka réduit à la parodie et aplati ».32. Alors quand Coetzee sacrifie Elisabeth Kafka et Kafka Elisabeth, mieux vaut invoquer le Kafka des possibles qui, quand il se tait, fait encore un vœu : "Attendre pour toujours ?". Si Kafka, malgré sa consécration, continue d'incarner une espérance -qui existe donc pour l'écrivain-héritier- c'est qu'aujourd'hui sa profondeur n'est pas "prise directement de Kafka", mais de la réalité : celle du présent. Il est temps de se comprendre à travers les singes et les chiens et de se soumettre à la loi d'un tout autre tribunal : le « tribunal des hommes et des animaux ».33que Kafka rêvait de réaliser son « idéal moral ».
Le regard qui embrasse la communauté des humains et des animaux en quête de « commandements simples » est appelé chez Coetzee « l'œil de l'histoire ». "L'idéal moral" de Kafka n'était pas de devenir bon, mais de devenir "absolument agréable à tout le monde" en "commençant à évoluer le plus vite possible dans cette direction" : celle de l'animal, obligeant à retracer le chemin du "diable" . .de l'histoire des hommes au pouvoir.
Faire des insultes ouvertement sans perdre l'amour universel, devenir le seul pécheur qui ne se brûle pas, tromper tout le monde mais sans tromper, mais cela nécessite un saut : le messianique qu'il faut accomplir pour accomplir les "commandements simples" à trouver et quand se convertir, si vous voulez, dans un "classique".
Pour ce faire, vous devez trouver vos mots dans le temps restant. Vous devez chercher vos mots et devenir stupide pour pouvoir un jour marcher dans la cour des gens et des animaux et rester coincé au milieu de nulle part.